Le 22 juillet 2020, la Cour fédérale a statué que le refoulement des demandeurs d’asile aux États-Unis dans le cadre de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) viole leur droit à la liberté et à la sécurité en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a donc décidé que la législation canadienne désignant les États-Unis comme tiers pays sûr est nulle et sans effet. Elle stipule toutefois que sa décision n’entre en vigueur que dans six mois, soit le 22 janvier 2021.
Dans une lettre au premier ministre Trudeau, à la vice-première ministre Freeland, au ministre de la Sécurité publique Blair, au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Mendicino et au ministre de la Justice et procureur général Lametti, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises supplient le gouvernement:
- d’arrêter immédiatement de refouler des demandeurs d’asile aux États-Unis et de suspendre l’Entente sur les tiers pays sûrs;
- d’accepter le jugement du tribunal et de s’abstenir d’interjeter appel.
La Cour fédérale a fondé sa décision sur les nombreuses preuves qui lui ont été présentées de violations des droits de la personne aussi graves que lourdes de conséquences relativement à la détention aux fins d’immigration aux États-Unis, et en particulier sur ce qu’ont vécu des personnes renvoyées par le Canada aux États-Unis dans le cadre de l’entente sur les tiers pays sûrs.
Une demandeuse d’asile, Nedira Jemal Mustefa, a été « emprisonnée immédiatement » après avoir été refoulée aux États-Unis. Elle a été détenue pendant un mois, dont une semaine en isolement, ce qu’elle décrit comme « une expérience de solitude terrifiante et psychologiquement traumatisante ». Elle a perdu 15 livres parce qu’on a fait fi des règles alimentaires qu’elle suit comme musulmane. Elle a été « détenue avec des personnes qui avaient reçu des condamnations pénales » et elle a été emprisonnée dans des conditions de « froid glacial » alors que les détenues n’étaient « pas autorisées à utiliser de couverture pendant la journée ». Elle « se sentait effrayée, seule et confuse à tout moment » et « ne savait pas quand elle serait libérée, si elle devait l’être ».
En s’appuyant sur le témoignage de Madame Mustefa et d’autres personnes qui ont connu la détention, ainsi que sur celui d’avocats et de défenseurs qui travaillent avec les demandeurs d’asile et les migrants dans les centres de détention et les prisons, la Cour a conclu que « les détenus subissent une souffrance physique et psychologique en raison de leur détention, et risquent réellement de ne pouvoir faire valoir leur demande d’asile ».
La Cour a établi que « l’emprisonnement découle automatiquement d’un refoulement en vertu de l’ETPS » et elle a relevé que « les demandeurs déboutés sont détenus sans égard à leur situation, à leur culpabilité morale ou à leurs actes. Ils sont souvent détenus sans possibilité de libération sous caution et sans qu’il y ait de véritable processus de révision de leur détention ».
Le gouvernement a fait valoir qu’à défaut de l’Entente sur les tiers pays sûrs, on verrait augmenter le nombre de réfugiés qui arriveront au Canada. La Cour a jugé toutefois que « les preuves fournies par le [gouvernement] sur ce point sont faibles. Dans le passé, le Canada a usé de flexibilité pour s’adapter aux fluctuations du nombre de réfugiés en fonction des besoins ».
La Cour a accordé au gouvernement un délai de six mois avant que l’arrêt ne prenne effet. Cependant, il n’est pas nécessaire que le gouvernement attende six mois: au contraire, il devrait agir immédiatement pour remédier à une grave violation des droits humains qui dure depuis trop longtemps. Plus on continuera d’appliquer l’ancienne réglementation, plus il y aura de personnes qui courront le risque d’être renvoyées aux État-Unis pour y être emprisonnées et maltraitées. Pour la même raison, le gouvernement devrait s’abstenir d’interjeter appel, ce qui prolongerait une situation intolérable.
En tout état de cause, le respect des droits des demandeurs d’asile aux États-Unis constitue actuellement une crise des droits humains, en particulier en ce qui a trait à la prévalence et au caractère arbitraire des conditions cruelles et inhumaines associées à la détention aux fins d’immigration, conditions qui sont bien en deçà des normes internationales en matière de droits humains. Le Canada ne saurait, un jour de plus, se faire complice de ces violations de droits profondément troublantes, encore moins pendant six mois.
Il n’y a pas de preuve concluante que l’application de la décision de la Court provoquerait l’afflux d’un nombre de réfugiés qui dépasserait les capacités et les ressources du Canada. Le plus important, c’est d’agir immédiatement pour faire appliquer la Charte, respecter nos obligations internationales en matière de droits humains et assurer la sécurité et la dignité des réfugiés. Nous tenons aussi à faire remarquer que lorsque les réfugiés pourront présenter leur demande d’asile aux postes-frontière terrestres officiels, le gouvernement pourra appliquer les directives des responsables de la santé publique pour répondre aux inquiétudes relatives à la COVID-19. Cela mettra également un terme aux traversées sur le chemin Roxham.
Il y a longtemps que les Canadiennes et les Canadiens sont profondément troublés par le traitement réservé aux réfugiés et aux migrants aux États-Unis; or depuis quelques années, la situation s’est aggravée. En acceptant la décision de la Cour fédérale et en suspendant immédiatement l’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs, le Canada a l’occasion de montrer l’importance qu’il accorde à la protection des réfugiés à un moment où ce genre de leadership se fait rare et devient urgent à l’échelle mondiale.
En répondant à l’arrêt de la Cour fédérale, le gouvernement doit choisir entre des objectifs politiques généraux et la protection à assurer aux personnes contre « l’emprisonnement et les séquelles de conditions de détention cruelles et inhabituelles, l’isolement cellulaire et le risque de refoulement ». La Cour a clairement indiqué qu’il n’y a qu’un choix acceptable « dans notre société libre et démocratique ». À lui seul, le traitement qu’a subi Mme Mustefa « choque la conscience ». Nous ne pouvons continuer de refouler des personnes aux États-Unis en sachant qu’elles seront traitées d’une manière fondamentalement injuste et qu’elles subiront un préjudice grave et durable.
Joignez-vous à nous pour exhorter le gouvernement du Canada à faire ce qu’il faut en suivant ces demandes d’action!